Jusqu’au XIXe siècle, voire au-delà, les Églises étaient en première ligne lors des crises sanitaires, qu’il s’agisse des soins aux malades ou de donner un sens à la souffrance. Aujourd’hui, dans les pays occidentaux du moins, le monde médical, la recherche et la politique sont au font. Si elle a changé, la présence de l’Église n’a pas disparu et perdure, auprès des malades et des plus fragiles. Cathy Espy-Ruf, responsable de la Pastorale de la santé de l’Église catholique romaine et aumônière en EMS, témoigne de l’accompagnement en fin de vie en temps de pandémie.
Les mesures sanitaires indispensables pour limiter la propagation du virus rendent la situation particulièrement complexe et difficile pour les personnes en fin de vie et leurs proches. Le défi de répondre à chaque situation avec humanité est immense, alors que la charge émotionnelle dans cette période de pandémie est très importante, explique Cathy Espy-Ruf.
A l’hôpital et dans les établissements médicaux-sociaux (EMS), la pandémie s’oppose à la proximité avec les mourants. La durée et le nombre de visites, à de degrés divers selon les périodes et les lieux, sont limités et s’accompagnent de nombreuses restrictions qui varient de lieu en lieu.
Dans certaines circonstances les familles ne peuvent pas accompagner leurs proches en fin de vie, ce qui a un effet dévastateur sur le processus de deuil, observe l’aumônière catholique. « Il y a un phénomène de solitude sans précédent », déplore-t-elle. L’équilibre est difficile à trouver entre le bien commun incarné dans les impératifs sanitaires, d’une part, et les impératifs humains de l’autre.
« Derrière le masque, le lien avec le malade ou la personne âgée est aseptisé, le toucher est amputé par les gants, le contact est privé de câlins et d’embrassades. Si je comprends que le bien commun s’impose, je constate également à quel point l’épreuve est douloureuse pour les malades et leur entourage. Le processus normal d’accompagnement a été amputé », ajoute Cathy Espy-Ruf.
Dans ce contexte qui empêche les adieux partagés, la célébration des funérailles peut être un moment réparateur en offrant aux familles et aux proches des défunts l’occasion de partager un geste, un moment, en mémoire de la personne décédée, souvent cependant dans l’intimité.
Mme Espy-Ruf, qui bénéficie d’un mandat de l’évêque pour célébrer les funérailles et y a été formée, souligne le sentiment d’humilité qui l’habite en ces moments. « Comme célébrants nous ne pouvons qu’être humbles et attentifs à nos paroles. Dans le contexte actuel, l’importance d’une célébration d’adieu est immense et je suis frappé de voir à quel point elle vient comme un baume qui contribue positivement au processus de deuil.
Mais il faut une célébration adaptée, ce qui signifie qu’il ne faut parfois pas suivre à la lettre les rituels de notre Eglise, mais les adapter aux situations particulières et aux individus. Les funérailles que j’ai préparées et célébrées en ce temps de COVID m’ont permis de voir à quel point les familles souhaitent rattraper ce qu’elles n’ont pas pu vivre et partager lors des derniers jours du défunt. Il y a un besoin très fort de dire qui il ou elle était vraiment, de lui rendre hommage ». Cathy Espy-Ruf souligne comment les gestes sacramentaux qui ponctuent la célébration aident à souligner « la préciosité de la personne qui nous quitte et la présence de Dieu ». Le rite prend d’autant plus de sens si l’accompagnement en fin de vie n’a pu se faire normalement.
« Les familles nous remercient pour les célébrations ; elles expriment le soulagement d’avoir fait tout ce qu’elles pouvaient pour dire adieu au défunt. Je lis un apaisement dans les visages ».
Anna * a perdu sa maman durant la pandémie. « Ma mère était en EMS. Quand il y a eu un cas de COVID à son étage, toutes les visites ont été suspendues. Je n’ai pas pu la voir pendant 20 jours alors qu’elle déclinait et ne pouvait plus parler au téléphone », témoigne Anna. Cette dernière a pu rendre visite à sa mère après avoir insisté. « Je sentais qu’elle était en train de mourir et je voulais être présente », confie-t-elle. Avec les précautions requises, « j’ai pu lui prendre la main et lui parler. J’espère qu’elle m’a entendue, mais elle n’a pas ouvert les yeux. Elle a arrêté de respirer 15 minutes après mon départ. J’aurais voulu la voir plus tôt », regrette-t-elle.
« Nous avons longuement parlé avec l’aumônière qui a célébré les funérailles. Elle connaissait bien ma mère. Maman était une femme pleine de vie, très joyeuse, qui voulait toujours faire le bien autour d’elle et très aimante. Elle était un rayon de soleil. Nous avons eu un bon contact avec l’aumônière. Elle nous a très bien accompagnés et soutenus, et cela nous a fait beaucoup de bien. Aujourd’hui, ça me soulage de savoir que nous avons confié ma mère à Dieu. Elle était catholique pratiquante et c’était son souhait. Nous avons pu l’accompagner avec une belle prière et la musique qu’elle aimait ».
*Prénom modifié
Article paru dans le journal REGARD février 2021