
LES FUNÉRAILLES CHRÉTIENNES: AU CŒUR DU CHEMIN DE DEUIL
Le deuil et la mort sont des réalités qui interrogent notre condition humaine : notre fragilité, notre finitude, le sens de la vie et de l’après. Pour l’Église catholique romaine, la mort n’est pas une fin mais un passage vers la vie éternelle, où le deuil s’éclaire à la lumière de Pâques.
Lors des obsèques, l’Église prie pour que le défunt passe avec le Christ de la mort à la vie. Ainsi, la célébration des funérailles est une proclamation de la foi en la Résurrection et une prière de toute l’Église.
Dans un contexte de sécularisation où beaucoup ne partagent plus cette foi ou s’en sont éloignés, se pose la question de l’adaptation des célébrations et de l’accueil des familles endeuillées. Les rites doivent-ils garder leur langage théologique fort, au risque d’être mal compris, ou évoluer vers une forme plus accessible, qui mette davantage en avant la dimension humaine ? Dans ce numéro, nous croisons les regards de Giovanni Fognini, prêtre et aumônier à l’hôpital, et Isabelle Hirt, laïque mandatée par l’Église pour célébrer des obsèques. Ensemble, ils partagent leur expérience et leur réflexion sur l’évolution récente de la célébration des obsèques et l’accueil des familles afin d’offrir un service empreint de proximité, de compassion et d’écoute.
« D’UNE PASTORALE DES FUNÉRAILLES À UNE PASTORALE DU DEUIL ? »
Entretien avec l’abbé Giovanni Fognini et Isabelle Hirt
Pourquoi la pastorale des funérailles reste-t-elle centrale pour l’Église ?

Isabelle Hirt
Isabelle Hirt (IH) : Dans la tradition catholique, la pastorale des funérailles consiste à accompagner le défunt dans son passage de la vie vers l’audelà de la mort. Elle consiste aussi et surtout à accompagner la famille et les amis du défunt dans le processus de la séparation et du deuil. C’est un lieu de rencontre et de dialogue privilégié. Beaucoup de familles reviennent à l’Église à ces occasions. Elles cherchent un rite qui les aide à traverser l’épreuve, cela peut ouvrir un chemin, parfois inattendu.
Giovanni Fognini (GF) : Si l’Église n’est pas proche de celles et ceux qui souffrent et de ceux et celles qui meurent, nous sommes en contradiction avec l’Évangile ! Nous avons un devoir de proximité et d’accueil. Pour ce faire, nous avons un Évangile qui est une Bonne nouvelle pour tous, une Parole de vie. L’accompagnement du deuil est pour moi un lieu d’évangélisation, dans le sens que ce n’est pas nous mais l’Evangile qui est à l’œuvre. Les funérailles dépassent le rituel et sont un espace de rencontre, de vérité et d’espérance : un lieu où l’Évangile peut rejoindre la vie des personnes.
Comment cette pastorale a-t-elle évolué, a-t-elle dû s’adapter ?
IH : Ces dernières années, on peut noter une évolution quant aux demandes des familles à l’occasion du décès d’un des leurs. Même si on note une augmentation constante des demandes de célébrations laïques pour l’adieu au défunt, environ 30% des familles souhaitent un rite catholique.
L’Église reste un point d’ancrage important dans la vie sociale pour ces circonstances. Les proches demandent une prière, mais pas trop, un message d’espérance, mais pas forcément biblique ou évangélique, une bénédiction et un ou deux gestes forts, mais pas trop de « bondieuseries». Ce qu’ils veulent surtout, c’est honorer le défunt et trouver une façon de lui dire adieu qui lui ressemble, avec des hommages et une musique qu’il aimait. La messe de sépulture, avec eucharistie, est de moins en moins souhaitée par des familles ne fréquentant pas l’Église ou qu’en de très rares occasions. D’ailleurs, de moins en moins de personnes sont choquées lorsqu’on leur dit que ce n’est pas un prêtre, mais une personne laïque, formée et légitimée, qui officie.
Dans les Unités pastorales* du canton de Genève, cette pastorale est d’abord assurée par nos prêtres et nos diacres. Toutefois, dans plusieurs d’entre elles, des personnes laïques, hommes ou femmes, engagés professionnellement en Église ou non, ont reçu un mandat de notre évêque, à la suite d’une formation, pour officier lors de ce type de célébration, sans eucharistie (absoutes). Une autre habitude qui change, est que désormais à Genève, plus de 85% des défunts sont incinérés.
GF : Par le passé, l’Église occupait une place centrale dans tous les moments importants de la vie : baptême, mariage, funérailles. Aujourd’hui, nous ne sommes plus les seuls à accompagner les rites et la spiritualité. La situation a changé, notamment avec la laïcité que je constate chaque jour à l’hôpital. Parallèlement, j’observe un phénomène d’individualisation avec une demande de cérémonies personnalisées, auquel s’ajoute une diversité des appartenances religieuses et des parcours spirituels. Nous devons reconnaître et prendre en compte ces réalités. Cela nous invite à repenser notre rôle, tout en restant guidés par une Parole : la Bonne Nouvelle de l’Évangile, présente même au cœur de la souffrance, et qui garde tout son sens. Elle est profondément respectueuse de chaque personne et de sa diversité.
Nous pouvons et devons adapter nos célébrations, sans pour autant faire n’importe quoi. À une famille qui me demandait une célébration sans parler de Dieu, j’ai répondu que j’allais les aider à préparer les obsèques mais que je ne serai pas présent. Ils ont compris et nous avons pu avancer. Il y a des stéréotypes négatifs qui collent à l’Église. Je pense que la première attitude est de s’asseoir et d’accueillir pour chercher ensemble.
Les funérailles sont souvent un moment où l’Église réunit aussi des personnes qui ne viennent plus, ou n’ont jamais fréquenté la communauté chrétienne. Comment les inclure ? La question de la célébration avec ou sans eucharistie revient-elle souvent ?
IH : Il ne s’agit pas de chercher à «récupérer» les non-croyants, mais de leur permettre de trouver une place authentique. Aux familles qui hésitent entre une messe et une absoute, j’explique que l’absence de communion n’enlève rien à la valeur ni à la profondeur de la célébration.

Abbé Giovanni Fognini
GF : Nous invitons les familles à choisir en vérité. Parfois, si très peu de personnes communient, la messe divise au lieu de rassembler. Dans ce cas, une célébration sans eucharistie est tout à fait juste. D’autre part, qu’il s’agisse d’une messe ou d’une absoute, j’adapte mes paroles en disant pour «les croyants, la destinée du corps est la résurrection » ou encore, « parmi nous il y a des personnes pour qui la foi chrétienne est importante et ceux qui le désirent peuvent faire avec moi un signe de croix». Cela permet un accueil large et respectueux.
Comment préparez-vous une célébration avec les familles ?
IH : D’abord en écoutant. Je pose toujours la question : quels sont vos besoins ? Certaines familles ont déjà des souhaits précis, d’autres non. Je propose une trame très simple – accueil, Parole, hommage, rite d’adieu – pour qu’elles puissent y inscrire leurs idées. Je leur demande aussi de me parler du défunt : les souvenirs viennent peu à peu, et c’est de là que jaillit la célébration. Parfois, la famille est éloignée de l’Église et souhaite une cérémonie simple, sans trop de symbole et rites religieux. C’est dans le dialogue qu’elle découvre l’importance des prières et des gestes qui ponctuent la célébration. Je refuse de célébrer une célébration totalement laïque dans une église. Je considère important de respecter ce lieu de prière.
GF : Dans la préparation, le dialogue est essentiel et il est fondamental de partir de la réalité des proches, de leur relation avec la personne défunte. Parfois, les familles évoquent aussi les difficultés ou les blessures, qu’il faut accueillir sans jugement. S’Ils le souhaitent, je propose aux proches de prendre la parole au cours de la célébration, même si les témoignages des proches ne sont pas inscrits dans le rituel au sens strict.
Quels sont pour vous les gestes les plus porteurs de sens lors des funérailles ?
IH : La lumière, sans hésiter. Le cierge pascal, allumé au cœur de l’église, rappelle la résurrection du Christ. Les personnes qui l’ignorent sont intéressées et touchées d’apprendre que le cierge pascal est allumé pour la première fois la nuit de Pâques et qu’il est le symbole de la vie après la mort. Aussi, les bougies confiées aux proches disent que la vie ne s’arrête pas, qu’elle se transmet. J’explique toujours ce symbole, et même les personnes éloignées de la foi y trouvent un écho, un sens fort.
GF : L‘aspersion et l’encensement du corps sont également des gestes parlants. Cependant, un nombre croissant de familles et autres participants aux célébrations funèbres ne connaissent pas ces signes chrétiens. Alors, avant l’encensement, je rappelle toujours le sens du verbe encenser et j’explique que c’est une manière de reconnaître la valeur de la vie et du corps de la personne. Je lis souvent le texte d’Isaïe (chapitre 60, verset 19) : « Le jour, tu n’auras plus le soleil comme lumière, et la clarté de la lune ne t’illuminera plus : le Seigneur sera pour toi lumière éternelle, ton Dieu sera ta splendeur».
Accueillez-vous aussi des gestes ou symboles plus personnels ?
IH : Oui, très souvent. Lors des obsèques d’un ébéniste, les enfants du défunt ont souhaité apporter une plaque de marqueterie magnifique que le père avait réalisée et qui exprimait son savoir-faire et la beauté de son travail. Cela faisait pleinement sens. Ces objets enracinés dans la vie de la personne défunte disent beaucoup des liens et de la vie des personnes, et les inclure répond à un vrai besoin.
GF : Ces signes sont précieux : ils manifestent l’histoire unique de chaque vie. Une jeune fille a voulu apporter près du cercueil de la maman l’huile utilisée pour l’onction des malades, car elle avait été très touchée par ce sacrement. Un sans-abri a déposé une rose aux obsèques d’un prêtre qui l’avait accueilli. Cela a beaucoup touché les personnes présentes.
Comment accueillir la révolte contre Dieu devant une mort perçue comme particulièrement injuste, comme celle d’un enfant ou d’un jeune parent ?
IH : Je dis aux proches : «Vous avez le droit d’être en colère. Dieu pleure avec vous.» Cette colère fait partie du chemin du deuil et doit être respectée.
GF : Il ne s’agit pas d’expliquer l’inexplicable, mais de laisser place au silence. Parfois je m’adresse à Dieu dans mon cœur : « Je ne suis pas d’accord avec toi». Expliquer aussi qu’il n’y a pas d’incohérence avec l’amour de Dieu, mais une incohérence avec la vision d’un Dieu qui peut tout faire.
* Regroupement de plusieurs paroisses
UN « MARCHÉ DE L’ENTERREMENT » ?
Un article consacré aux obsèques, publié par l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI)*, observe que « la fin de vie, la mort et le deuil se sont laïcisés ». Désormais, aux côtés des cérémonies religieuses, il existe également des funérailles laïques. On évoque parfois l’émergence d’un véritable « marché de l’enterrement », où l’offre se diversifie et place les Églises en concurrence avec d’autres acteurs. Mais peut-on réellement parler de concurrence ?
Giovanni Fognini : Certaines personnes sont peut-être lassées des cérémonies catholiques très ritualisées, où la place laissée à la personnalisation est réduite. Pour ma part, je ne parlerais pas de concurrence. Il s’agit plutôt d’une diversité que l’on respecte. L’offre évolue parce que la demande change et se diversifie. C’est le choix légitime des personnes.
Isabelle Hirt : Je partage cette vision : le terme de concurrence ne me paraît pas juste. Ce qui compte, c’est que l’Église sache répondre aux attentes, surtout dans des moments aussi douloureux, où les familles sont fragilisées. Notre mission est d’accompagner, d’aider à dire au revoir à l’être cher, d’écouter. Mais en même temps, nous devons être respectés dans notre identité. On ne peut pas tout accepter. L’essentiel est que chacun trouve un cadre qui corresponde à ses besoins. * https://kirchenstatistik.spi-sg.ch/ 17 avril 2022
POUR LES ENFANTS EN DEUIL : UN CARNET « POUR DIRE À-DIEU À UNE PERSONNE QUE J’AIME »
Comment accompagner les enfants lors d’un deuil ? La mort fait peur et reste insaisissable. Perdre un être cher peut être une épreuve particulièrement difficile et douloureuse pour les enfants. Pour leur permettre d’exprimer leur chagrin et leurs sentiments, un carnet a été conçu et édité par une équipe des Pastorales des familles de Suisse romande.
Quel contenu ?

Chaque partie laisse également un espace pour que l’enfant puisse écrire ou dessiner ce qu’il ressent.
Le carnet propose enfin des activités pour garder le souvenir de la personne disparue. L’ensemble est accompagné des illustrations délicates et colorées de l’artiste suisse Julien Nicaud.
Comment commander ?
Le livret est vendu au prix de CHF 1.- / pce. Les commandes sont possibles par mail : prierenfamille.ch@gmail.com
Textes et images parus dans le n° 26 de REGARD – NOVEMBRE 2025
