
ŒCUMÉNISME À GENÈVE : RETROUVER LE SOUFFLE DU CONCILE VATICAN II
À l’occasion du 60ᵉ anniversaire de la clôture du Concile Vatican II, les Églises protestante (EPG), catholique romaine (ECR) et catholique-chrétienne (ECC) de Genève organisent une journée exceptionnelle de célébration, de témoignages et de réflexion, ouverte à toutes et à tous, le 15 novembre 2025. Pour faire le point sur les défis de l’œcuménisme à Genève, nous vous proposons un entretien avec Anne Deshusses-Raemy, théologienne catholique romaine et enseignante à l’Atelier œcuménique de théologie (AOT).
Comment l’esprit œcuménique promu par le Concile Vatican II – et notamment les orientations œcuméniques du Concile telles qu’exprimées dans Unitatis Redintegratio – a-t-il influencé les relations entre les Églises chrétiennes à Genève depuis 60 ans ?
On a souvent lié Unitatis Redintegratio et les avancées œcuméniques à Genève ; cependant, l’œcuménisme à Genève est plus ancien. Je dirais que le Concile a validé des démarches qui avaient commencé à être réfléchies avant, et qu’il a permis à des germes de grandir, de se développer et d’être accueillis. Le mouvement œcuménique date de la fin du XIXᵉ siècle, et il n’a pas attendu Vatican II. Taizé, communauté fondée en 1944 par frère Roger, démarre de Genève ! La question des mariages mixtes, souvent source de tensions, est une problématique qui se développe après-guerre et que Genève aborde rapidement.
Pouvez-vous nous citer quelques exemples de progrès concrets, de gestes symboliques et de collaborations qui ont marqué cette évolution ?
Je pense qu’il est important de citer la « Minute œcuménique » de la Radio Suisse romande, créée en 1964, avant la fin du Concile : une minute quotidienne, fruit d’une collaboration entre protestants et catholiques. Mais également les aumôneries œcuméniques, très importantes et qui œuvrent sur le terrain en totale collaboration. Aujourd’hui, j’observe un questionnement qui dépasse la dimension oecuménique et devient interreligieux, avec des interactions plus nombreuses avec les autres religions. La Plateforme interreligieuse (PFIR) est une ouverture plus tardive (1992), mais elle aborde ces questions du vivre-ensemble. C’est ce que j’appelle le macro-œcuménisme.
Je citerais également l’Atelier œcuménique de théologie (AOT), né des rencontres, en 1972, entre des théologiens protestants et les jésuites de Genève. Ils ont appris à se connaître et à dépasser les « a priori », les représentations de ce que l’on croit savoir sur l’autre. De ce dialogue est née aussi une prise de conscience de la diversité intra-confessionnelle, parfois plus importante qu’au niveau interconfessionnel. Je pense notamment que les protestants se sont rendu compte que l’Église catholique romaine est aussi multiple que les Églises protestantes !
Ces rencontres ont abouti au lancement, en 1973, des formations de l’AOT, ouvertes à toutes et à tous, avec la volonté de rendre la théologie au Peuple de Dieu.
L’élan œcuménique est-il toujours vivant ?

Aujourd’hui à Genève, on observe une grande bienveillance les uns envers les autres dans la plupart des lieux et communautés, mais ce n’est pas suffisant. Un état des lieux identifie quatre pierres d’achoppement : la conception de l’Eucharistie ; les ministères et la succession apostolique ; la place des femmes dans les Églises ; et enfin les questions d’éthique et de morale – notamment celles du début et de la fin de vie, du célibat et du mariage, de la sexualité. Face au monde actuel, les Églises pourraient commencer par s’entendre sur le sens de l’anthropologie chrétienne.
Ces quatre pierres d’achoppement ne peuvent être résolues sur le terrain, malgré notre volonté de dialogue à Genève. Dans ces domaines, le travail doit être fait au niveau institutionnel.
Quelles pistes d’espérance ou de renouveau pourraient guider l’œcuménisme genevois dans les prochaines décennies, dans un contexte marqué par la pluralité religieuse et la sécularisation ?
Un ancien enseignant de l’AOT, orthodoxe grec ayant travaillé au Conseil œcuménique des Églises, disait que l’œcuménisme est victime de son succès. Succès des dialogues au niveau des instance supérieures des Églises et succès des avancées à la base, dans les communautés, mais sans lien réel entre les deux niveaux !
Je crois que l’œcuménisme est toujours vivant, mais comme une plante, il a besoin d’engrais et d’être arrosé. Le livre Changer de regards esquisse douze balises, autant de pistes de renouveau réalistes et réalisables dans chaque communauté, fondées théologiquement et solides. En voici quelques exemples : travailler à l’unité dans le respect de la diversité, développer des outils de dialogue sur les désaccords, rechercher des consensus différenciés, reconnaître des responsabilités ecclésiales plurielles ou encore accueillir l’autre grâce à l’hospitalité eucharistique.
Quel est à vos yeux le message de la commémoration du 15 novembre à Genève et notamment de la célébration œcuménique à la cathédrale avec notre évêque ?
Cette commémoration est prévue en plusieurs temps. D’abord, une conférence historique l’après-midi au Sacré-Cœur avec l’historienne Sarah Scholl, l’abbé Pascal Desthieux et le frère Alexis Helg, pour parler de ce qui se passe chez nous à Genève depuis Vatican II. Suivra un goûter autour de nombreux stands gourmands et de discussions présentant divers lieux œcuméniques du canton, et enfin une série de témoignages de réalisations œcuméniques genevoises, sous différents formats. La volonté est de faire prendre conscience de la pluralité de ces lieux œcuméniques vivants et de montrer que l’œcuménisme ne se résume pas à la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, avec des célébrations et des échanges de ministres.
À 19 h 00, la commémoration se déplacera à la cathédrale Saint-Pierre pour une célébration œcuménique de la Parole. Les textes du Concile Vatican II expriment très clairement que le Christ est présent, évidemment, dans l’Eucharistie, mais aussi dans la Parole proclamée et dans la communauté rassemblée. Dès lors, quand une communauté se rassemble autour de la Parole, le Christ est présent, même si c’est différemment qu’à l’occasion d’une Eucharistie.
La célébration sera présidée par Monseigneur Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, et par Alexandre Winter, pasteur et modérateur de la Compagnie des pasteur·e·s, diacres et chargé·e·s de ministère de l’EPG.
SD&C- ECR, novembre 2025
Image Anne-Deshusses- Raemy: ©Mathias Deshusses
