Prison: Une soirée de reconnaissance pour un lieu de foi et de dialogue à La Brenaz
Le 9 octobre 2025, une quarantaine de personnes se sont réunies dans l’enceinte de la prison de La Brenaz pour une cérémonie de reconnaissance autour de la salle multiconfessionnelle. Cette soirée a été l’occasion d’exprimer une profonde gratitude envers toutes celles et ceux qui ont œuvré à la création et à la vie de ce lieu.
Comment transformer un espace nu, de béton et d’angles durs, austère et presque hostile, en un lieu d’accueil, de prière, de partage et de dialogue pour toutes les religions? Comment inventer — au cœur de la contrainte — un lieu de liberté intérieure ? C’est le défi qu’ont relevé, ensemble, à la prison de La Brenaz à Genève, aumôniers, architecte, artistes et artisans en collaboration avec la direction et les personnes détenues, par leur travail dans les différents ateliers de l’établissement de détention.
L’établissement de La Brenaz, ouvert en 2008 pour accueillir les personnes en exécution de peine, a été agrandi en 2015. « Dans ce nouveau bâtiment, un espace était prévu pour les célébrations religieuses, pour toutes les religions. Cela ouvrait une perspective nouvelle pour une prison genevoise, tout en posant un certain nombre de défis », a expliqué Paul Bouvier, membre du Conseil de l’Aumônerie œcuménique des prisons, organe qui a mené une réflexion pour son aménagement, sous l’impulsion de son président d’alors, Maurice Gardiol.
Une vision partagée
La salle d’environ 35 m2 avant les aménagements ©OCD
Un groupe de travail a été constitué, composé de représentants de diverses confessions chrétiennes et de communautés musulmanes . « D’emblée, il était posé que le local devrait offrir un cadre accueillant et être aménagé pour différents cultes religieux et activités spirituelles, tout en respectant le cadre requis par chaque religion. De plus, des personnes détenues devraient participer au projet », a-t-il expliqué lors de la soirée.
L’idée d’un aménagement minimaliste fut vite écartée. Un espace nu aurait prolongé la froideur de la cellule, « une privation de plus », selon les mots de Paul Bouvier. Au contraire, il fallait « faire de cette salle un espace «accueillant pour tous qui permette d’exprimer pleinement les moments de différentes célébrations et de soutenir les prières et les méditations de chacun ».
Un espace apaisant et fonctionnel : contraintes et créativité en dialogue
Dès le printemps 2018, l’architecte Endrias Abeyi proposait un aménagement réussi avec les murs en béton habillés de panneaux de chêne, qui se transforment en armoires et rangements pour les objets de culte, et un long banc qui longe une partie des parois, avec des rangements invisibles pour accueillir les tapis, les livres, les symboles de chaque foi. La lumière naturelle, par un puits au plafond, adoucit les angles. Enfin, l’un des panneaux comporte des éléments coulissants dans lesquels sont disposés une icône ou un livre sacré. « Les contraintes étaient nombreuses », a confié l’architecte lors de la cérémonie. « Mais elles se sont transformées en possibilités ».
Quand la pandémie de 2020 a interrompu les travaux, l’élan ne s’est pas éteint. Dans les ateliers de l’établissement, des personnes détenues ont travaillé le bois, scié, poli, assemblé.
Un olivier pour unir les différentes religions
« En septembre 2020 nous avons pu admirer la beauté de la réalisation, son équilibre et son intégration dans l’ensemble », a rappelé Paul Bouvier.
Pour achever l’ensemble, il restait à donner à cet espace un élément décoratif. Le choix s’est porté sur l’image de l’arbre, un symbole réunissant de nombreuses religions à travers le monde. L’artiste genevois Frédéric de Haro a peint, en 2023, une fresque représentant un olivier. grandeur nature « L’olivier est un arbre complexe, aux formes irrégulières », a expliqué le peintre. « Il a fallu trouver un équilibre entre densité et légèreté », un symbole enraciné, mais ouvert.
La salle se révèle aujourd’hui dans sa forme achevée : sobre, lumineuse, apaisante. Le béton n’a pas disparu, mais il est apprivoisé — adouci par le grain du bois.
Un lieu qui vit
Très vite après sa réalisation, le lieu a été investi par des aumôniers et des représentants de différentes religions pour des célébrations religieuses. En outre, des groupes animés par des psychologues de l’établissement ou d’autres intervenants ont trouvé dans ce lieu un espace propice à des échanges avec des personnes détenues.
« C’est ici que nous nous retrouvons le dimanche pour les célébrations. La salle est également un espace pour d’autres activités en soirée pour les personnes détenues : des tables de la Parole, avec des textes de la Bible, des projections de films ou encore des jeux. À ces occasions, musulmans et chrétiens sont ensemble », a souligné Carol Beytrison, co-responsable du Service de l’Aumônerie catholique des prisons, en expliquant que l’aumônerie oecuménique accueille de nombreux musulmans en entretien. « En ce lieu, les personnes se sentent en confiance et il y a de beaux partages », a-t-elle souligné.
la croix de San Diamano
Carol Beytrison a ensuite présenté l’icône inspirée de la croix de San Damiano, cachée dans la paroi coulissante qui permet de sortir différents symboles en fonction de la religion de la célébration. Il s’agit d’une magnifique et grande icône en bois réalisée par l’artiste iconographe Agnès Glichitch, dans le cadre d’un projet qui a réuni l’Aumônerie œcuménique des prisons et la Pastorale du monde du travail de l’Église catholique romaine à Genève. Elle accompagne les célébrations chrétiennes.
Cette croix « est à la fois symbole de la souffrance mais aussi d’un Christ en gloire. Elle dit qu’au cœur de la souffrance, quelque chose de lumineux peut surgir », a souligné Carol Beytrison.
Un signe d’humanité au cœur de la détention
Lors de la cérémonie, plusieurs invités ont pris la parole pour exprimer leur gratitude, dont l’imam et aumônier, Aliu Rijad, et le directeur de La Brenaz, Ibra Mbaye, qui a salué ce travail collectif et cette belle réalisation . « Nous en sommes fiers et quand nous avons des invités nous faisons toujours visiter cette salle ». Ibra Mbaye a également rendu hommage aux aumôniers : « Merci pour le travail que vous faites au quotidien, il contribue à la réinsertion », a-t-il affirmé.
1) M, Paul Bouvier., membre du Conseil de l’Aumônerie œcuménique des prisons 2) Près du banc au fond: Brigitte Mesot (PMT, assisse), Federica Cogo (ancienne aumônière de prison) et l’artiste Agnes Glichtch. 3) Le directeur de La Brenaz, Ibra Mbaye ©ECR
Les avis sont unanimes . Née d’un défi architectural et spirituel, par ce qu’elle exprime et ce qui s’y vit, la salle multiconfessionnelle de La Brenaz n’est pas seulement un espace de culte : c’est un lieu de respiration, un signe d’humanité au cœur de la détention.
SD&C, octobre 2025